-
Par metanoia1 le 16 Août 2007 à 12:46
Notes dissidentes sur la
notion de Tradition
primordiale
« Revenir aux sources signifie que lon doit préalablement nettoyer les broussailles masquant le chemin parcouru à lenvers afin de parvenir à lessence de la tradition. Cela ne peut se faire sans un effort constant, sans un travail intense de recherche et de réflexion, tant le chemin est dissimulé. »
Dominique Venner, Histoire et tradition des Européens (1)
I
Le critère principal de distinction entre le monothéisme traditionaliste, en particulier le christianisme traditionaliste, et lécole dite « traditionnelle » ou « traditionaliste intégrale (ou radicale) », réside dans lappréhension de lorigine mythique désignée sous le terme de « Tradition primordiale ».
Ce concept suppose chez les chrétiens traditionalistes tout un corpus dogmatique centré sur la notion de Révélation. À périodes régulières, une divinité unique apporterait par lintermédiaire de prophètes et de messie un message, renouvelé dans la forme, qui se substituerait au précédent dévalué alors que, daprès lécole traditionnelle, la Tradition représente un substrat dordre spirituel qui a influé (et influe) lensemble des cultures humaines en leur donnant des orientations métaphysiques structurées.
La distinction opérée en préambule est tranchée, primaire et simpliste. La dichotomie est en réalité bien plus floue. René Guénon, Jean Phaure, Frithjof Schuon, pour ne citer que quelques noms connus, se situent en leur confluence. Dans leur approche de la Tradition primordiale, ils tentent den opérer une synthèse, puisant dans les deux champs. Toutefois, leurs références métaphysiques les marquent irrémédiablement comme des ésotéristes, des occultistes, des gnostiques aux yeux de quelques groupes chrétiens bornés entre autres poitevins, vecteurs de thèses conspirationnistes les plus farfelues...
II
Comprendre la Tradition primordiale signifie adopter une perception du temps qui, habituelle pour lhomme réel, paraît singulière, car incompréhensible, pour lhomme moderne. Cest une conception cyclique entièrement régie par une régression extensive. La doctrine des âges représente « un processus de décadence graduelle tout au long de quatre cycles ou générations - tel est, pour le monde de la Tradition, le sens effectif de lhistoire (2) », signale Evola. Peuples, cultures et civilisations traversent quatre ères dentropie croissante. La chute irrésistible, appelée décadence, qui expliquerait ainsi le pessimisme tenace des penseurs traditionnels, se manifesterait en histoire par une prolifération pullulante des ordres sociaux ou castes.
À lorigine, au temps de lÂge dOr, « lhumanité primordiale était une (une seule caste - Hamsa, une seule race). Linvolution a entraîné la pluralité et lopposition des castes et des races, des peuples et des religions », lit-on dans lavertissement qui précède Éléments pour une éducation raciale dEvola (3). Du fait de cet avilissement continu, la Tradition perd peu à peu de sa flamboyance, séclipse avant de disparaître, ne laissant que quelques rémanences. Mais que se passera-t-il au terme du présent Âge de Fer ? Certains pensent que la décadence se poursuivra et samplifiera. La Tradition deviendra alors un trésor perdu impossible à retrouver. Triomphera alors un pessimisme absolu quon retrouve déjà, dans un autre registre, chez Gobineau dans son excellent (et si peu ou mal lu) Essai sur linégalité des races dans lequel il juge le métissage entre les races irrémédiable. Gobineau trouve par conséquent vaine lidée de préserver une race pure qui ne lest plus dailleurs depuis longtemps. Dautres traditionalistes, de sensibilité guerrière ou « activistes », estiment au contraire que les conditions délétères de lÂge sombre favorisent néanmoins une entreprise patiente et énergiques dinstauration (ou plutôt davènement) dun nouvel Âge dOr. Par une double action de réappropriation des bribes éparses de la Tradition et de subversion des institutions modernes, ils considèrent possible dachever rapidement le présent cycle. Dans cette perspective, lÂge dOr devient lalpha et loméga de leur démarche volontariste...
III
Le pessimisme foncier de la doctrine des âges, souvent porteur de désespoir ou dinaction totale, nest pas la seule critique quon peut adresser à la Tradition. Son « essence » même fait débat. « Il existe dans lUnivers un ordre transcendant qui intègre et dépasse le champ de la causalité classique et lapparent désordre du monde événementiel, note Jean Phaure. À la conscience de cet ordre métaphysique ne peuvent parvenir que des âmes chez lesquelles lintellect rationaliste se prolonge par la plus haute des facultés, proche de limaginal cher à Henry Corbin : lintellect pur ou intuition spirituelle qui court-circuite toutes les ratiocinations syllogistiques (4). » Jean Phaure privilégie ici laspect sapientiel de la Tradition. Pour Evola, « il faut se référer au plan doctrinal et à ce que lon peut appeler lunité transcendante et secrète des différentes traditions. Il peut sagir de traditions de type religieux, mais aussi de sagesses, de mystères. Ce que lon a appelé la méthode traditionnelle consiste à découvrir une unité ou une équivalence essentielle de symboles, de formes, de mythes, de dogmes, de disciplines au-delà des expressions variées que peuvent avoir les contenus dans les différentes traditions. [...] Lintroduction de lidée de Tradition permet de briser lisolement de toute tradition particulière, en ramassant le principe créateur et les contenus fondamentaux de cette tradition à un cadre plus vaste, par le moyen dune intégration effective. Elle ne peut faire de tort quà déventuelles prétentions à un exclusivisme sectaire. Reconnaissons que cette idée de la Tradition peut troubler et désorienter ceux qui se sentaient en sécurité à lintérieur de leur univers bien clos sur lui-même. Mais aux autres la vision traditionnelle fera découvrir de nouveaux horizons, plus vastes et plus libres, et leur apportera une confirmation supérieure, à condition quils ne trichent pas au jeu, quils ne fassent pas comme certains traditionalistes, qui ne se sont intéressés à la Tradition que pour donner une sorte de piment à leur tradition particulière, dont ils réaffirment toutes les limitations et lexclusivisme (5). »
La mise en garde est précise. La Tradition nest pas un mondialisme contraire. La compréhension de la Tradition nappartient quà « quelques humains [qui] auront réussi à retrouver lunité de leur être. Ils sauront encore leur nom parce quils auront cherché leur origine. Ces quelques êtres délite appartiendront à toutes les races encore reconnaissables aujourdhui, sans distinction de couleur ni de situation géographique (6) ». Cohérent avec son état desprit aristocratique, le Baron en appelle à une fraternité qualitative dêtres de même caste. Cependant, si lon ny prend pas garde, la Tradition risque davoir sa signification détournée et devenir à son corps défendant un auxiliaire du fraternitarisme mondial franc-maçon ou dun cuménisme pervers. Quand Frithjof Schuon évoque « lunité transcendantale des religions », ne peut-on pas craindre une égalité entre les religions assortie dune interprétation individualiste de leur hiérarchisation ?
Conscient du danger, Dominique Venner se montre critique envers « la conception génonienne dune seule tradition hermétique et universelle, qui serait commune à tous les peuples et à tous les temps, ayant pour origine une révélation provenant dun ultramonde non identifié. [...] Son syncrétisme est équivoque, au point davoir pu conduire certains de ses adeptes, et non des moindres, à se convertir à lislam. Par ailleurs, sa critique de la modernité na débouché que sur un constat dimpuissance. Faute den dépasser la critique souvent juste et de pouvoir proposer un mode de vie alternatif, cette école sest réfugiée dans lattente millénariste de la catastrophe (7) ». Il est indéniable quune lecture aseptisée et conformiste de la Tradition risquerait den faire un carcan normalisateur et unificateur par-delà les indispensables particularismes ethnopopulaires. Éviter ce risque revient à réfléchir sur le concept même de Tradition.
IV
Mais quest-ce que la Tradition ? « On sait, écrit Julius Evola, que le terme Tradition vient du latin tradere (transmettre). Ce qui implique que ce mot nait pas un contenu univoque et soit employé dans les domaines les plus variés et les plus profanes. Le traditionalisme peut être synonyme de conformisme et Chesterton a dit à ce sujet que la tradition est la démocratie des morts : de même quen démocratie on se conforme à lopinion de la majorité de nos contemporains, de même le traditionalisme conformiste suit lopinion de la majorité de ceux qui vécurent avant nous (8). » Il va de soi quil importe décarter cette acception banale. À linverse de lidéologie moderne, la Tradition formule une perception du monde liée au passé le plus lointain et le plus mythique, y compris quand son sens divergerait complètement suivant les camps ! Pour les monothéistes traditionalistes les plus bornés, telle la clique sectaro-stupide de Chiré, « dans la terminologie ecclésiastique, le mot TRADITION ne sapplique plus à tout lhéritage du passé sans distinction de contenu. Il est réservé exclusivement à la partie de la Révélation divine qui na pas été consignée par écrit et qui sest transmise oralement. - Toute Révélation, en effet, peut laisser deux sortes de traces ; une trace écrite qui vient sajouter à celle qui ont déjà été consignées et qui formeront avec elle LÉCRITURE SAINTE - mais également une trace orale qui sajoute à la TRADITION, car on recherchera et on recueillera évidemment les moindres vestiges des précieuses paroles divines. La Révélation divine sest manifestée en trois grandes phases. Il y eut dabord une Révélation primordiale qui fut reçue par les Patriarches mais qui nengendra aucune Écriture, puis une seconde [sic !] Révélation qui donna naissance à lAncien Testament et, enfin, une troisième, celle du Messie, qui engendra le Nouveau Testament avec lequel la Révélation publique est close. Chaque phrase a vu apparaître une forme particulière de Tradition qui a véhiculé la partie non écrite de la Révélation et que lÉglise, sous sa forme du moment, sest attachée à conserver (9) ». Vaquié ajoute plus loin que la Tradition primordiale a, dès le départ, connu une rupture entre le culte dAbel et celui de Caïn... Dès lors, usant dun singulier propos manichéen qui devrait le rendre suspect de gnosticisme auprès de ses propres amis, « lhistoire mondiale est celle du combat de ces deux postérités, donc de ces deux camps mystiques. Le combat est fluctuant comme tous les combats, cest-à-dire quil comporte, pour chaque camp, des alternances doffensive et de défensive, lavance de lun des champs correspondant avec le recul de lautre (10). »
La Tradition primordiale proviendrait ainsi de la Révélation biblique. Acte divin, elle demeurerait intouchable aux outrages du temps. Point de départ dune norme incontestable et incorruptible, elle guiderait le fidèle vers lespérance, doù une forte attente parousique si confortable pour lesprit puisquelle ne demande aucun effort. En fait, le caractère primordial de la Tradition selon Vaquié se discute puisquil nest pas immémorial ! Les catholiques traditionalistes (à ne pas confondre avec les traditionalistes catholiques !) ne sont que des pré-modernistes : leur Tradition remonte au XVIe siècle lors du concile de Trente et de la Contre-Réforme catholique. Cest à ce moment-là que lÉglise institua la liturgie de Pie V, marquant un net infléchissement par rapport à ces deux conservatoires traditionnels que sont le christianisme médiéval et lOrthodoxie, même si cette dernière pâtit elle aussi de profonds désagréments modernistes.
Sappuyant sur la Bible, la « tradition » chrétienne produit une césure entre un discours dintangibilité théorique (le dogme) et une pratique plus flexible. Cette dichotomie sexplique par une attente eschatologique. Quil soit juif, chrétien ou musulman, le monothéiste guette les signes de la venue ou du retour du Messie ou du Mahdi, retour ou venue qui impliquerait la fin des temps et donc de lhistoire. La Tradition selon cette école nest quune peccadille mystique.
La signification de la Tradition revêt une toute autre importance pour lécole traditionnelle. « En tant que transcendance immanente, le tradere, la transmission (donc la Tradition) ne concerne pas une abstraction quon peut contempler, mais une énergie qui, pour être invisible, nen est pas moins réelle. Cest aux chefs et à lélite quil appartient dassurer, à lintérieur de certains cadres institutionnels, variables mais homologues dans leur finalité, cette transmission. Il est assez clair que celle-ci est parfaitement garantie lorsquelle est parallèle à la continuité rigoureusement contrôlée dun même sang (11). » Il ne faut pas en outre oublier qu« on peut distinguer deux aspects de la Tradition, lun se rapportant à une métaphysique de lhistoire et à une morphologie des civilisations, lautre à une interprétation ésotérique, selon leur dimension profonde, des différentes données traditionnelles », souligne Julius Evola.
V
Malgré le politiquement correct et les rondes incessantes de la police de la pensée, les recherches en histoire, en ethnologie et en anthropologie confirment que les grandes civilisations présentent des points communs. Un traditionaliste explique ces similitudes par linfluence de la Tradition. Jusquà lapparition de la civilisation moderne, toute civilisation était traditionnelle. En clair, toute véritable civilisation « repose sur des principes au vrai sens de ce mot, cest-à-dire où lordre intellectuel domine tous les autres, où tout en procède directement ou indirectement, et, quil sagisse de sciences ou dinstitutions sociales, nest en définitive quapplications contingentes, secondaires et subordonnées de vérités purement intellectuelles (12) ». Quant à Evola, il affirme qu« en ce qui concerne le domaine historique, celle-ci se rapporte à ce quon pourrait appeler une transcendance immanente. Il sagit de lidée, qui revient souvent, quune force den haut a agi dans telle ou telle civilisation, dans tel ou tel cycle historique, si bien que des valeurs spirituelles supra-individuelles constituèrent laxe et la référence suprême pour lorganisation globale de la société, la formation et la justification de toute réalité, de toute activité subordonnée et simplement humaine. Cette force est une présence qui se transmet, et la transmission, corroborée justement par le caractère anhistorique de cette force, représentait précisément la Tradition. [En effet] on avance souvent lidée dune tradition primordiale, doù seraient issues les traditions particulières. [...] La question qui peut se poser souvent [...] concerne lexplication de concordances et de correspondances essentielles entre les contenus traditionnels. Recourir à des personnages, à des initiés qui dans les différents cas auraient opéré consciemment à lorigine de chaque tradition, pour expliquer le parallélisme, est une idée simpliste, relevant en partie de la superstition. On doit plutôt penser - même si cette idée paraîtra, aux yeux de beaucoup, difficilement acceptable - à des influences de derrière les coulisses, pour ainsi dire, qui viennent sinsérer dans lhistoire et le développement des traditions sans que celles-ci sen rendent compte. Il y a aussi des cas de floraison nouvelle dune seule et même influence à de grandes distances dans lespace et le temps, donc sans transmission quon puisse matériellement établir : comme un tourbillon disparaît à un endroit donné du courant pour se reformer à un autre endroit. [...] Enfin, il faut envisager un autre cas possible : linfluence en question peut agir dans un deuxième temps, en transformant, en enrichissant, voire même en rectifiant la matière première dune tradition (13) ». Il ny a néanmoins jamais une seule explication monocausale.
Malgré des différences ethniques, spirituelles et historiques de lespèce humaine qui est apparue à des endroits et à des moments différents, lêtre humain nen conserve pas moins une unité psychique et anthropologique. Il ressort de ce constat que les valeurs quil défend sont « universelles », cest-à-dire profondément humaines. Comme le remarquait si justement Charles Champetier, « toute communauté se fonde sur (et se différencie par) une attribution particulière de valeur aux actes, aux hommes et aux biens. La relativité de cette attribution nexclut pas luniversalité des valeurs attribuées : elles sont pourtant ressenties, éprouvées, acceptées, encouragées de manière différente. Nous retrouvons ici la définition hégélienne de lidentité comme singularité, cest-à-dire comme rencontre fragile de luniversel (les valeurs dans notre propos) et du particulier (le peuple qui sy reconnaît) (14) ». Il est probable que la Tradition se conçoive comme une poiêsis explicative du comportement social-historique humain. Cette hypothèse reste cependant guère satisfaisante, sinon que deviendrait le mythe sil nétait quun cataplasme pour lesprit, un facteur doubli de la dureté de linstant ? La Tradition ne serait-elle quun excitant pour une poignée de réfractaires à lordre moderne ou un instrument détourné dans limposition dune unité spirituelle planétaire factice ? La suggestion est inacceptable. Sortons de cette funeste et stérile alternative pour débroussailler de nouveaux chemins !
VI
« Lirruption des Indo-Européens dans lhistoire, observe Mircea Eliade, est marquée par deffroyables destructions. Entre 2300 et 1900 av. J.-C. en Grèce, en Asie mineure, en Mésopotamie, de nombreuses cités sont saccagées et incendiées ; ainsi Troie vers 2300 av. J.-C., Beycesultan, Tarsus et quelques trois cents villes et agglomérations en Anatolie... La dispersion des peuples indo-européens avait commencé quelques siècles auparavant et elle se prolongera pendant deux millénaires... Les Doriens venant de Thessalie descendirent dans la Grèce du Sud vers la fin du IIe millénaire av. J.-C. Vers environ 1200, les Aryens avaient pénétré dans la plaine indo-gangétique, les Iraniens étaient solidement installées, la Grèce et les îles étaient indo-européennes... Ce processus na cessé quau XIXe siècle de notre ère. On ne connaît pas un autre exemple semblable dexpansion linguistique et culturelle (15). »
On sinterroge peu - à tort ! - sur lobservation dEliade. Et si la Tradition primordiale nétait finalement que la manifestation mythique de la migration plurimillénaire des Boréens (pour reprendre lexpression de Dominique Venner) ? Bien que difficilement vérifiable en létat, cette question suggère avec force que lhistoire humaine connue serait principalement de facture boréenne.
En effet, ethnologues et historiens montrent leur perplexité devant certaines représentations, certains mythes, certaines pratiques apparentées, proches ou similaires détectés chez des peuples éloignés les uns des autres dans le temps et dans lespace. Ainsi, des générations désotéristes, dégyptologues et de paléo-américanistes (historiens des civilisations américaines pré-colombiennes) ont fantasmé sur de possibles liens ou interactions entre les pyramides dÉgypte et les pyramides méso-américaines. Longtemps, on a jugé possible une proximité utilitaire entre ces deux styles architecturaux en considérant quune des deux aires aurait influencé lautre. Aujourdhui, la science historique officielle estime que la présence de pyramides de forme assez différentes dailleurs, relève dun « tic » civilisationnel au même titre que lérection de la Grande Muraille de Chine coïncide avec lédification par les Romains du Mur dHadrien en Écosse. Mais cette analogie ne serait-elle pas mieux compréhensible si lon postule que Chinois, Égyptiens, Méso-Américains et Romains ont fructifié lhéritage boréen ?
En 1987, un sinologue de lUniversité de Pennsylvanie, Victor Mair, découvre dans un musée une famille momifiée retrouvée en 1978 à lExtrême-Ouest de la Chine. « Le véritable choc est venu, relate Giovanni Monastra, quand le savant américain sest mis à observer de plus près leurs traits. Ils contrastaient vraiment avec ceux des populations asiatiques de souche sino-mongole ; ces corps momifiés présentaient des caractéristiques somatiques qui, à lévidence, étaient de type européen et, plus précisément, nord-européen. En fait, Mair a noté que leurs cheveux étaient ondulés, blonds ou roux ; leurs nez étaient longs et droits ; ils navaient pas dyeux bridés ; leurs os étaient longs (leur structure longiligne contrastait avec celle, trapue, des populations jaunes). La couleur de leur épiderme - maintenu quasi intact pendant des millénaires, ce qui est à peine croyable - était typique de celle des populations blanches. Lhomme avait une barbe épaisse et dure. Toutes ces caractéristiques sont absentes au sein des populations jaunes dAsie. [...] Sur la base des datations au radiocarbone effectuées au cours des années précédentes par des chercheurs locaux, on peut dire que ces corps avaient un âge variant entre 4000 et 2300 (16). » Les ancêtres des Européens auraient-ils occupé le Xinjiang ?
Cela est certain pour Aymeric Gaul qui signale que « les linguistes, les premiers, se sont étonnés du nombre considérable de mots à racine indo-européennes - comme cheval, piste, chariot, roue, vache - que lon trouve dans les langues siniques. [...] Les archives chinoises fourmillent de descriptions de tribus caucasiennes et dempereurs dorigine occidentale. Ainsi les premiers empereurs chinois, dits fils du ciel venaient de la région de Tien Shan qui étaient entourées de Nordiques aux cheveux roux (17). »
Cette découverte signifierait-elle que des Boréens eussent été en contact avec des Han, voire quils leur auraient apporté des rudiments de civilisation ? De là à supposer que des Boréens fussent les fondateurs du Céleste Empire, pourquoi pas ?
Le professeur Jean Haudry nhésite pas à travailler sur cette voie. « Le Japon et la Corée du Sud sont des pays industrialisés et développés qui, par leur langue, nappartiennent pas au monde indo-européen. La Corée du Nord a été stérilisée au plan économique par une forme particulièrement ubuesque du communisme, ce qui ne lempêche pas de disposer de larme atomique, comme lInde et le Pakistan. Mais on sait aujourdhui que sans adopter la langue, la Corée et le Japon (à travers la Corée) doivent leur première forme dorganisation politique et une part de leurs traditions à un peuple cavalier probablement iranien dont les archéologues, confirmant une hypothèse émise dès 1926 par Von Le Coq, ont retrouvé les vestiges matériels et dont les historiens de la culture, à la suite dun disciple japonais de Georges Dumézil, ont mis en lumière linfluence dans le domaine du mythe (18). » À cela vient sajouter la récente découverte archéologique en Sibérie arctique par léquipe de Vladimir Pitulko. Cette région polaire aurait été colonisée il y a plus de 30 000 ans alors quon estimait auparavant sa colonisation à seulement 16 000 ans. Rien naurait empêcher ces Boréens de se diriger plus au Sud à travers la vaste plaine sibérienne, entrant en contact avec les populations autochtones de la Haute-Asie avant de se scinder en différents groupes, certains allant vers lOuest, dautres vers le Sud ou lEst. Au cours du voyage, les Boréens, ne rechignant jamais les rencontres avec les tribus indigènes, auraient de cette façon posé les fondements de lÉgypte et des empires méso-américains. Parfaitement visible en photographie sur les manuels dhistoire de 6e, la momie du pharaon Ramsès II montre une chevelure rousse... Les fameux et mystérieux Peuples de la Mer qui ravagèrent la Méditerranée orientale pendant lAntiquité égyptienne pourraient être un lointain reliquat boréen amalgamé.
Leurs incessants déplacements, leurs intenses rivalités, les changements climatiques et les bouleversements survenus à la suite de la brusque arrivée de nouveaux Boréens chassant de leur confort et de leurs habitudes des Boréens déjà implantés donnent une pertinence historique au mythe des civilisations perdues. LAtlantide, la Lémurie, Thulée, Mû auraient été des territoires boréens passagers dévastés par des catastrophes naturelles accompagnées ou précédées du surgissement de Boréens sauvages et non policés. Dès lors, mus par linstinct de survie, de domination et de conquête ainsi que par dexceptionnelles qualités faustiennes, les Boréens essaiment sur divers continents, apportant aux populations indigènes une organisation sociale et les « quatre sens de la vie ». Par leur sens de linitiative et de lorganisation, les Indo-Européens auraient donc mis en forme des tribus autochtones, matrices de peuples impériaux à venir...
Dans cette perspective iconoclaste, il ne paraît pas impossible que les prophètes et autres fondateurs de religions tant polythéistes que monothéistes soient des Boréens ou dascendance boréenne. Assez paradoxalement, l« unité transcendantale des religions » senvisagerait finalement comme une origine, un point de départ vers un pluralisme effervescent, et non comme une finalité eschatologique. Dans tous les cas, les populations auraient conservé dans leurs contes et légendes les récits du « pays originel » et de la « grande traversée » par-delà les océans, doù, avec lérosion du temps et des mémoires, la formation du thème des civilisations perdues.
VII
Cette hypothèse décoiffante tant pour la (lim)pensée officielle que pour lorthodoxie non-conformiste résout, si lon y réfléchit bien, la fameuse énigme de lHomme de Kennewick et la présence des premiers Blancs en Amérique.
En 1996, des archéologues découvrent des ossements et un crâne humain dans une réserve amérindienne aux États-Unis. Grâce à linformatique et à la reconstitution informatique des visages (technique utilisée dans les affaires criminelles), les spécialistes découvrent avec stupeur que sa physionomie comporte des traits nettement européens ! Craignant que son antériorité soit contestée, la tribu exige et obtient par décision judiciaire la restitution des preuves. Puis, une fois obtenue, elle les inhume dans un site sacré. La bien-pensance parle dune supercherie scientifique à relent raciste. Or dautres chercheurs, spécialistes en histoire de la génétique des populations, ont pu déterminer avec certitude que des Amérindiens vivants à lépoque précolombienne avaient des mitochondries (gènes uniquement transmissibles par les femmes) dorigine européenne ! Pis pour la bien-pensance, dautres paléontologues, experts de la civilisation de Clovis (du nom dun village de lOuest des États-Unis dont le territoire regorge de pierres taillées préhistoriques), ont rapproché la fabrication et le style de ces silex avec ceux de la civilisation solutréenne qui, à la même époque, occupait le Sud-Ouest de la France. Et que les outils découverts en Sibérie arctique par léquipe de Pitulko sapparentent fortement aux productions de Clovis et de Solutrée. Comment ces civilisations auraient-elles pu entrer en contact il y a 15 000 ans malgré un éloignement géographique inimaginable pour lépoque ?
En cet âge glaciaire, les Solutréens qui étaient des chasseurs auraient traversé locéan Atlantique en cabotant le long de la banquise, subsistant de la pêche et de la chasse, se protégeant des tempêtes polaires et du blizzard, en se mettant sous leurs canoës. Sinspirant de lexemple des Inuits, lhypothèse savère plausible. Connaissant les conditions climatiques glaciales, on peut même estimer probable que des tribus solutréennes se soient disséminées vers dautres continents à partir de lAmérique. Cette migration serait-elle le fait dune recherche de contrées plus favorables ou bien de territoires giboyeux plus abondants ?
En 1997, léquivalent français, en plus vicelard de feu La Pravda, Le Monde, mentionnait que le Dr Rupert Housley de lUniversité de Glasgow « a suivi les migrations des populations du Nord vers le Sud, puis du Sud vers le Nord, à lère glaciaire, grâce à létude du carbone 14 dans les outils en os ou en corne de lhomme préhistorique. Le Dr Brian Sykes, de lInstitut de médecine moléculaire dOxford, sest penché sur le patrimoine génétique européen à travers lexamen de spécimens dA.D.N. [...] Après avoir étudié 871 échantillons dA.D.N. mitochondrial [...] prélevés sur des populations contemporaines dans douze endroits différents, le professeur Sykes estime quils proviendraient pour la plupart par lignage maternel dun ancêtre commun, ou plutôt dune période commune, le Paléolithique supérieur, soit il y a environ 20000 ans ». Ces deux scientifiques pensent quau début de lère glaciaire, il y a 23 000 ans, les populations de Grande-Bretagne quittèrent la détérioration du climat pour sinstaller dans le Midi de lEurope. Ensuite, ils remontèrent vers leur vieux foyer par le Rhin, les Ardennes, la Belgique et les Pays-Bas. « Notre ancêtre commun, quil soit anglais ou français, aurait donc essaimé à partir du Midi, écrit Patrice de Beer, avant de reprendre le chemin de son home britannique, laissant derrière lui des cousins en France, en Suisse, en Allemagne et dans le Bénélux. Mais pas en Italie car, curieusement, le professeur Housley na trouvé ni dans la Botte ni sur la Côte dAzur des traces de ses ancêtres (19). »
Le territoire européen a très certainement subi des migrations. Mais, nen déplaise à lidéologie immigrationniste, les migrants en question devaient être des Boréens.
VIII
Le point noir de lhypothèse présentée est quon na fait que reporter plus en amont la question de la Tradition primordiale. La nature, le cosmos, les dieux, le hasard, la Providence... ne donneraient-ils à chaque ensemble ethnique original une « Tradition primordiale » dont léclat diminuerait avec la lente dissolution de leurs spécificités ethno-spirituelles ? Ny aurait-il pas finalement une succession aléatoire de Traditions primordiales pour chaque entité ethnique matricielle ? Et si cétait le cas, qui bénéficierait de lantériorité ? On le voit : ce type de questionnement débouche sur une absence de réponse dordre humain. Cependant, sinterroger sans cesse est le meilleur moyen de maintenir son esprit libre et éveillé. Linterrogation permanente produit des antidotes aux toxines du conformisme médiatique et de tous les conformations délétères de notre temps.
Lopinion radicalement dissidente soutenue ici (et déjà esquissée avec brio par dautres dans différents numéros de Réfléchir & Agir) considère que les Boréens et leurs descendants solutréens (à moins que cela soit le contraire) façonnent lhistoire humaine depuis quelques millénaires ! Lhistoire humaine connue nexisterait que grâce à laction des Boréens qui seraient les animateurs dun cycle plus vaste, englobant les quatre âges. Le propos est scandaleux.
Dans notre société contemporaine décadente, il va de soi que la présente suggestion est moralement répugnante. Faire du Boréen le Deus ex machina de lhistoire est très certainement une tentative pseudo-historique et révisionniste de réhabilitation des « heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire » (est-ce une allusion à la sinistre révolution de 1789 ou bien à la funèbre révolution de 1917 ?) puisquelle valorise dune manière détournée et codée lAryen. Eh bien, face à ce genre de non-arguments, passons seulement notre chemin en lançant toutefois en direction de cette piètre morale un rire sarcastique. La morale dégoulinante du bourgeois droit-de-lhommiste nest pas et ne sera jamais la nôtre. Osons enfin nous détourner des critiques de lennemi !
Certes, lauteur de ces lignes est conscient que sa thèse expose une vision « boréocentrique » de lhistoire, de lhumanité et du monde. Mais ce ne sont que des esquisses dexplication de la pertinence du concept de Tradition primordiale. Si tous les peuples se réfèrent à une seule et unique Tradition, lunité du monde, des peuples et des hommes se réalisera forcément, du moins dune façon métaphysique et spirituelle. Serait-ce un fait positif ? Nous ne le croyons pas, même si un quelconque « roi du monde » depuis une centrale dénergies secrète chercherait à contenir la part violente des humains et des peuples, part qui exprime le mieux lorientation de la vie sur Terre vers une diversification et une différenciation croissantes des types humains. Enfin, en quoi cette thèse serait-elle plus ignoble ou inadmissible que les thèses de Martin Bernal ou dYves Coppens qui font de lAfrique le foyer unique, promu « berceau », de lhumanité ?
Dans une perspective maintenant moins spéculative et plus activiste, parce que penser la Tradition, cest déjà préparer un après-demain de redécouverte de ses racines, loptimiste peut très bien croire que les Boréens nont toujours pas cessé leur migration parce quils se tournent désormais vers les cieux, prêts à quitter leur « niche historique » pour conquérir la Lune, Mars et dautres astres plus éloignés encore. Les États-Unis incarneraient-ils lentreprise boréenne ? La réponse serait positive si leur population ne se modifiait pas si rapidement en défaveur du caractère ethnique boréen. Le sursaut boréen viendra-t-il de la conception ethnopolitique planétaire du Septentrion énoncé par Guillaume Faye ? Face à la marée montante des peuples du Sud, le regroupement intercontinental des descendants de Boréens ne se justifie que par le désir de survivre au XXIe siècle. Cela mérite au moins un débat que seul lavenir tranchera.
Notes
1 : Première édition, 2002, Éditions du Rocher.
2 : Julius Evola, Révolte contre le monde moderne, LÂge dHomme, 1991.
3 : Avertissement, Éléments pour une éducation raciale, Pardès, 1984.
4 : Jean Phaure, La France mystique. Réflexions méta-historiques sur lhistoire de France, Dervy-Livres, 1986.
5 : J. Evola, « Ce quest la Tradition », LArc et la Massue, Trédaniel-Pardès, 1983.
6 : Avertissement, Éléments pour une éducation raciale, op. cit.
7 : D. Venner, op. cit.
8 : J. Evola, « Ce quest la Tradition », LArc et la Massue, op. cit.
9 : Jean Vaquié, « Le brûlant problème de la Tradition », Lecture et Tradition, n° 167, janvier 1991. Lecture et Tradition est lun des mensuels de cette coterie sectaire poitevine soi-disant chrétienne qui infecte depuis tant dannées les milieux identitaires non-conformistes de leurs oukases staliniens, de leurs mensonges éhontés et de leur parti-pris favorables en dernière analyse au Système.
10 : J. Vaquié, art. cit.
11 : J. Evola, « Ce quest la Tradition », art. cit.
12 : René Guénon, Orient et Occident, Trédaniel-Éditions de la Maisnie/Véga, 1984.
13 : J. Evola, « Ce quest la Tradition », art. cit.
14 : Charles Champetier, « Comment peut-on ne pas être païen ? », Roquefavour, n° 2, mars 1995.
15 : Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, Payot, 1976.
16 : Giovanni Monastra, Nouvelles de Synergies Européennes, n° 53, octobre-décembre 2001.
17 : Aymeric Gaul, « Les momies dUrumchi : comment disparaissent les races de géants », Réfléchir & Agir, n° 13, hiver 2002.
18 : Jean Haudry, « Le type physique des Indo-Européens », Réfléchir & Agir, n° 14, printemps 2003.
19 : Patrice de Beer, « Nos ancêtres, les Anglais qui revenaient dEspagne », Le Monde, 18 février 1997.
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique